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ESPION, Y ES-TU ?

Le Behshad, un mystérieux navire iranien soupçonné d'espionnage pour les Houthis

La présence dans le golfe d’Aden d'un mystérieux cargo commercial iranien depuis le début de l’année inquiète de plus en plus les observateurs. Le Behshad est soupçonné d'être un "navire espion" iranien qui fournit des informations aux Houthis pour pouvoir attaquer avec plus de précision les navires dans cette zone.

Vue aérienne du navire M/V Rubymar, endommagé par une frappe houthie dans le golfe d'Aden, en février.
Vue aérienne du navire M/V Rubymar, endommagé par une frappe houthie dans le golfe d'Aden, en février. Un cargo iranien, soupçonné d'être un navire espion, a été accusé d'avoir permis aux Houthis d'agir dans cette zone. © US Centcom, AFP (archives)
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Les États-Unis tentent-ils de convaincre secrètement Téhéran de faire pression sur les Houthis, l'organisation militaire chiite pro-iranienne active au Yémen, pour faire cesser les attaques contre les navires en mer Rouge ? Une réunion, au moins, s'est déroulée entre une délégation américaine et iranienne à Oman, affirme le Financial Times, citant des sources anonymes des deux pays impliqués, dans un article paru mercredi 13 mars.

Nul ne sait si le sort du cargo iranien MV Behshad a été au menu de ces discussions officieuses. Ce bateau se trouve de plus en plus sous les projecteurs des médias, qui n'hésitent pas à le qualifier de "navire espion".

Un étrange "zigzag" maritime

Le Behshad, appartenant à la société iranienne Rahbaran Omid Darya Ship Management Co., a été accusé de jouer un rôle "central" dans les perturbations du trafic maritime commercial en mer Rouge et dans le golfe d'Aden, et d'être une source "vitale" d'informations pour les Houthis. Il a même été soupçonné d'avoir saboté des câbles sous-marins en mer Rouge lorsque des dégâts ont été constatés sur ces infrastructures servant au transit des données Internet. "Il se trouvait à proximité au moment de l'incident", note le site Gulf Insider.

Même les États-Unis semblent persuadés que le Behshad n'est pas qu'un simple cargo. Le bateau a été la cible d'une cyberattaque américaine qui l'a temporairement paralysé en février, a affirmé la chaîne NBC News, citant "trois responsables américains" sous couvert d'anonymat. "Deux semaines plus tard, il était de nouveau opérationnel", précise Shahin Modarres, spécialiste de l'Iran à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Il faut reconnaître que la version officielle iranienne – qu'il s'agit d'un navire commercial – est difficile à avaler pour les experts interrogés par France 24. "Il est, par exemple, beaucoup trop équipé pour un cargo commercial", constate Dirk Siebels, spécialiste des questions de sécurité maritime pour Risk Intelligence, une société d'analyse des risques maritimes.

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Dans une vidéo postée sur une chaîne Telegram réputée proche de l'armée iranienne, et repérée par le Financial Times, le Behshad est d'ailleurs décrit comme "une armurerie flottante". Mais ce serait uniquement pour mieux "combattre les actes de piraterie" dans la région.

Sauf qu'il "a un déplacement en zigzag dans le golfe d'Aden qui ne correspond absolument pas à la trajectoire d'une cargo commercial" ou d'un navire de protection contre des pirates, assure Shahin Modarres.

Le Behshad a aussi une histoire particulière. Il a été mis en service en 1999 "avec un autre bateau dans le but officiel d'aider à lutter contre la piraterie dans la golfe d'Aden", reconnaît Shahin Modarres.

Mais en 2021, sa raison d'être semble avoir changé. "Il prend la place d'un autre navire, le Saviz, en mer Rouge", souligne le site Radio Free Europe. Son prédécesseur venait d'être détruit par une mine sous-marine. "Des commandos israéliens ont été accusés à l'époque d'avoir mené une opération contre le Saviz, qu'Israël considérait comme un navire espion iranien", précise Shahin Modarres.

L'œil des Houthis dans le golfe d'Aden ?

Depuis lors, le Behshad s'était fait très discret. Il fait de nouveau parler de lui à partir de janvier 2024, lorsqu'il quitte la mer Rouge pour se rendre dans le golfe d'Aden. Il s'est alors positionné à une centaine de kilomètres des côtes de Djibouti et a commencé son étrange ballet maritime.

À quoi peut servir un tel navire espion ? "En fonction de leurs équipements, ces navires sont censés pouvoir intercepter des communications en mer, cartographier l'espace sous-marin et obtenir et relayer des informations précises sur la position et les déplacements d'autres navires", détaille Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité internationale et maritime à l'université de Lancaster.

C'est cette dernière fonction qui, dans le cas du Behshad, inquiète les États-Unis et autres pays soucieux de la sécurité du trafic maritime en mer Rouge. "L'arrivée de ce bateau dans le golfe d'Aden a coïncidé avec une forte augmentation des attaques contre des navires dans cette zone", a constaté le Financial Times.

Il y en a eu plus d'une trentaine depuis début janvier, a comptabilisé sur X @detresfa, spécialisé dans l'analyse des incidents maritimes à partir de données publiques. Surtout, ce n'est qu'à partir de janvier que des navires ont été frappés par des missiles houthis. Auparavant, le groupe armé pro-Iran réservait ce type d'attaque à des cibles en mer Rouge.  

Autrement dit, le Behshad est soupçonné de sillonner la zone à la recherche de cibles potentielles pour les Houthis et de leur envoyer les données de géolocalisation pour qu'ils puissent frapper juste. Mais attention, "corrélation ne veut pas forcément dire causalité", souligne Dirk Siebels. Il se peut que les Houthis aient simplement décidé qu'il était temps de ne plus se cantonner à la mer Rouge. "Il y a suffisamment de petits navires dans cette région qui peuvent servir de relais d'information", précise l'expert de Risk Intelligence.

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Il reconnaît néanmoins que l'hypothèse d'un navire espion appelé à la rescousse pour ouvrir les portes du golfe d'Aden aux frappes des Houthis est crédible. En mer Rouge, "les Houthis contrôlent suffisamment de terrain [sur les côtes, NDLR] pour avoir des informations précises pour cibler les navires", affirme Dirk Siebels. Il leur suffit d'avoir installé des postes d'observation à des endroits stratégiques.

Mais "dans le golfe d'Aden, ils étaient aveugles", assure Shahin Modarres. Pour ce spécialiste, tout est une question de précision. Le groupe armé yéménite peut très bien tenter de frapper des navires en se basant sur des informations plus approximatives fournies par d'autres sources, comme par d'autres navires marchands "amis". Ils n'ont cependant peut-être pas des réserves suffisantes de missiles ou de drones pour se permettre de ne pas être sûrs à 100 %.

À cet égard, le petit coup de pouce informationnel d'un navire espion "peut s'avérer central à la stratégie d'extension des frappes des Houthis", affirme Shahin Modarres. Ce peut aussi être un pion important dans la stratégie iranienne. Téhéran essaie en effet de résoudre une équation qui semble impossible : le pays "veut obtenir une sorte de supériorité maritime dans cette zone sans avoir de puissante flotte militaire", résume Shahin Modarres. Et l'association entre un navire espion et des Houthis armés de missiles peut s'avérer très efficace.

Frapper le Behshad revient à frapper l'Iran

Encore faut-il que les États-Unis et leurs alliés laissent faire. Et c'est un autre avantage d'un navire espion déguisé en simple cargo commercial : "il est légalement très difficile de faire quoi que ce soit contre un tel navire qui, sur le papier, a une activité tout ce qu'il y a de plus légitime", note Basil Germond.

L'autre option serait de le détruire. Mais c'est très risqué : "les navires qui battent pavillon d'un pays sont considérés comme des extensions de leur territoire national", souligne Basil Germond. Une frappe américaine contre le Behshad équivaudrait à une attaque sur le sol iranien. "Le risque d'escalade des tensions dans la région seraient alors réel", estime l'expert de l'université de Lancaster.

La probable cyberattaque américaine illustre d'ailleurs les hésitations de Washington. "Elle n'a pas fait de dommages irréparables au Behshad", souligne Shahin Modarres.

Surtout, est-ce que cela suffirait à ramener le trafic maritime commercial dans la région à des niveaux d'avant la guerre entre Israël et le Hamas ? "Les Houthis peuvent toujours frapper en mer Rouge, donc le fait de pouvoir affirmer que le passage du golfe d'Aden est probablement plus sûr grâce à la destruction d'un tel navire risque de ne pas suffire à redonner confiance", estime Dirk Siebels. Le Behshad pose donc un vrai casse-tête sécuritaire.

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