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La loi des gangs

La démission d'Ariel Henry peut-elle remédier au chaos en Haïti ?

Cédant aux revendications des gangs, d'une partie de la population et de la communauté internationale, le Premier ministre haïtien Ariel Henry a accepté lundi de démissionner. Cependant, le vide institutionnel qui règne depuis des mois en Haïti ne permet pas d'entrevoir à brève échéance un retour au calme dans l’île. Face à une vague inédite de violences, quelles perspectives politiques son départ offre-t-il ?

Des manifestants se rassemblent à Port-au-Prince, le 7 mars 2024, pour demander la démission du Premier ministre Ariel Henry.
Des manifestants rassemblés à Port-au-Prince, le 7 mars 2024, pour demander la démission du Premier ministre Ariel Henry. © Odelyn Joseph, AP
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Au lendemain de la démission d’Ariel Henry, Premier ministre d’Haïti, la possibilité d’un apaisement reste très hypothétique dans l’île, en proie à une anarchie grandissante. Cédant aux pressions exercées par les partenaires régionaux du pays, il a annoncé qu'il continuerait de gérer "les affaires courantes jusqu'à la nomination d'un Premier ministre et d'un gouvernement". 

Son départ, réclamé par les gangs et une partie de la population, a été annoncé lundi à l’occasion d’une réunion d’urgence en Jamaïque, en présence des membres de la Caricom (Communauté des Caraïbes) et de représentants de l’ONU.  

C'est depuis le territoire américain de Porto Rico qu'Ariel Henry a jeté l’éponge. Fin février, il s'était rendu au Kenya pour solliciter l'aide de l'ONU dans la mise en place d'une mission sécuritaire internationale. Il est depuis bloqué à Porto Rico [une île de Caraïbes sous souveraineté des États-Unis, NDLR] après avoir été empêché de rentrer dans la capitale haïtienne. Un responsable américain a déclaré lundi qu'il était le bienvenu s'il souhaitait y rester.

Sa démission intervient dans un contexte d'escalade des tensions en Haïti, où les gangs armés mènent une véritable insurrection contre toutes les institutions, ou ce qu'il en reste. Depuis plus d'une semaine, Port-au-Prince est le théâtre d’affrontements incessants entre policiers et bandes armées. Les gangs s'en sont pris à des sites stratégiques tels que le palais présidentiel, des commissariats et des prisons. Dernier signe en date de la crise sécuritaire : l'évacuation, lundi, de l'ensemble du personnel de l'Union européenne présent en Haïti. Et de celui des États-Unis, évacué par hélicoptère

Conditions non remplies pour des élections 

À l’issue de la réunion, le président du Guyana Mohamed Irfaan Ali, également président de Caricom, s'est dit "heureux" d'annoncer "un accord de gouvernance transitoire" devant déboucher sur "un plan d'action à court terme en matière de sécurité" et "des élections libres et équitables". 

Une promesse "constamment évoquée en Haïti", rappelle Rosa Freedman, professeur de droit et de conflit à l'Université de Reading et spécialiste d'Haïti. "Même lorsque des élections libres et équitables ont lieu, nous constatons à maintes reprises que des acteurs internationaux interviennent et renversent des dirigeants élus, comme Jean-Bertrand Aristide [ex-président haïtien chassé du pouvoir en 2004, NDLR]. De plus, l'ingérence internationale dans les élections du pays est un phénomène récurrent". Selon l’experte, "les Haïtiens ont besoin de choisir qui les gouvernent, mais il n'est absolument pas certain que cela se produise." 

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Romain Le Cour Grandmaison, docteur en sciences politiques et chercheur spécialiste du crime organisé à Global initiative, abonde dans ce sens : "La démission d’Ariel Henry n’ouvre pas plus la voie à l'organisation d'élections libres et transparentes en Haïti qu'avant, car les conditions nécessaires ne sont pas réunies." Les dates qui pourront être annoncées dans les prochains jours "serviront de jalons pour avancer vers des élections". 

Depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, Haïti se retrouve sans chef d'État ni parlement fonctionnel. Aucune élection n'a été organisée depuis octobre 2016, accentuant la crise politique. Ariel Henry avait été nommé par Jovenel Moïse quelques jours avant son assassinat et son mandat initial devait s'achever début février. Mais en l'absence d'institutions démocratiques en place, aucune procédure claire n’existe pour le remplacer. 

"Prendre le contrôle des gangs" 

Dans le même temps, les troubles n'ont cessé de croître sur l’île, les gangs ayant massivement élargi leur pouvoir financier, leur territoire – ils contrôlent aujourd'hui 80 % de Port-au-Prince – et leur influence. Début mars, Jimmy Chérizier, considéré comme le chef de gang le plus puissant d'Haïti, surnommé "Barbecue", avait menacé d'une "guerre civile qui conduira à un génocide" si Ariel Henry restait au pouvoir. 

Le chef de gang armé Jimmy Chérizier, alias "Barbecue", et ses hommes à Port-au-Prince, Haïti, le 5 mars 2024.
Le chef de gang armé Jimmy Chérizier, alias "Barbecue", et ses hommes à Port-au-Prince, Haïti, le 5 mars 2024. © Clarens Siffroy, AFP

"Il faut tirer les leçons de la capacité immense de ces groupes à peser sur la vie politique", soulève Romain Le Cour Grandmaison. "Il va falloir être extrêmement stratège et fin politique pour pouvoir prendre le contrôle des gangs et gouverner dans un contexte aussi volatile." 

Début mars, l'état d'urgence a été déclaré à Port-au-Prince, où les troubles avaient endommagé les services de communications et permis l'évasion de plusieurs milliers de détenus. Selon des données onusiennes, plus de 362 000 personnes – dont plus de la moitié sont des enfants – sont actuellement déplacées sur l’île, un chiffre qui a bondi de 15 % depuis le début de l’année. De multiples agressions sexuelles, viols, faits de torture et enlèvements ont été signalés.  

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"Le pays traverse une période absolument catastrophique en terme sécuritaire, humanitaire, et politique. Cela va donc être l’épreuve du feu pour la classe politique haïtienne", poursuit Romain Le Cour Grandmaison. "Le défi est énorme pour celles et ceux qui réclamaient le départ d’Ariel Henry, qui devront maintenant assumer la responsabilité d’un pays dans l’une des situations les plus complexes de ces dernières années." 

"S'attaquer aux racines du problème" 

Juste avant la tenue de la réunion en Jamaïque, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a promis une aide de 133 millions de dollars supplémentaires des États-Unis, dont 100 millions à la force multinationale devant être envoyée en Haïti, et 33 millions d'aide humanitaire. De son côté, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, qui assistait virtuellement aux échanges, avait offert, un peu plus tôt, environ 91 millions de dollars. 

Si les sommes annoncées sont conséquentes, les exigences de "Barbecue" n'en demeurent pas moins. Alors que les dirigeants se réunissaient à huis clos, l’influent chef de gang a déclaré aux journalistes que si la communauté internationale continuait sur la voie actuelle, "cela plongerait Haïti dans un chaos encore plus grand". 

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L'aide financière est un premier pas nécessaire, mais elle ne peut être la seule réponse. D'après Rosa Freedman, une approche différente est indispensable pour sortir Haïti de la crise. "Cette démission est l’occasion pour la communauté internationale de soutenir les Haïtiens pour qu'ils trouvent leurs propres solutions aux problèmes internes", suggère l’experte. "Il faut soutenir les institutions haïtiennes, telles que la police, l'armée et la société civile", poursuit-elle, citant l'exemple d'autres pays de la région comme la Colombie, le Mexique, le Salvador et le Honduras – des pays ayant réussi à lutter contre les cartels de la drogue et les gangs grâce à un soutien international ciblé. 

"Pour qu’Haïti puisse aller de l’avant, il faut s'attaquer aux racines du problème, à savoir la corruption de l'élite riche, la violence des gangs et la non-représentation du peuple dans le gouvernement." 

La fragilité d'Haïti trouve aussi ses racines dans les épreuves de son passé. L'indemnité exorbitante versée à la France après l'indépendance en 1804 a handicapé l'économie naissante du pays. La longue dictature des Duvalier a ensuite laissé des séquelles profondes. Enfin, le tremblement de terre de 2010, avec ses lourdes pertes humaines et ses dégâts matériels considérables, a encore aggravé la situation, anéantissant des années de développement économique. 

Quelques heures après sa démission, l'après-Ariel Henry s'annonce incertain pour Haïti. "Si le sentiment actuel tend vers un soulagement, un fort scepticisme domine la population haïtienne", affirme Romain Le Cour Grandmaison. "L'attente d'apaisement est palpable, et il y a urgence à s’occuper de la crise humanitaire. Mais les Haïtiens, conscients des jeux politiques en cours, ont appris à se méfier des grandes promesses d’unité politique." Selon l’expert, "les prochaines semaines vont être cruciales pour rétablir un minimum de confiance". 

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