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AXE ILLIBÉRAL

Des policiers chinois en Hongrie, symbole d'une bromance au beau fixe entre Pékin et Budapest

Le ministre hongrois de l'Intérieur a confirmé que des policiers chinois allaient patrouiller en Hongrie. Une collaboration qui va à contre-courant de la méfiance de l’Union européenne à l’égard de Pékin, accusé de chercher à surveiller sa diaspora par tous les moyens. Mais pour Viktor Orban, elle est la continuation logique d’un pari de dix ans sur la Chine.

Des policiers chinois rassemblés dans la province du Sichuan pour marquer le quatrième anniversaire de la police du peuple chinois.
Des policiers chinois devraient pouvoir patrouiller en Hongrie, a confirmé le ministère hongrois de l'Intérieur. Lan Zitao/VCG via Reuters Connec - Lan Zitao/VCG
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Vingt-deux, v'la les policiers chinois sur le sol de l'Union européenne… Ce sera bientôt une réalité en Hongrie, a confirmé le ministère hongrois de l'Intérieur au site d'informations Telex, mercredi 6 mars. Il s'agirait d'une situation sans équivalent au sein de l'UE, à l'heure où les relations entre Bruxelles et Pékin sont loin d'être au beau fixe.

La possibilité de patrouilles chinoises en Hongrie avait déjà été évoquée par le quotidien allemand Die Welt quelques jours plus tôt. Le titre en faisait l'une des clauses d'un nouvel accord de coopération sécuritaire sino-hongrois conclu en février lors de la rencontre à Budapest entre Wang Xiaohong, le ministre chinois de la Sécurité publique, et son homologue hongrois.

Surveiller les Chinois à l'étranger 

Mais mis à part la confirmation du ministère de l'Intérieur, aucune précision officielle n'a été donnée sur les contours de cette coopération policière. "On ne sait pas quand, où, ou pourquoi ces patrouilles de policiers chinois auraient lieu", souligne Zsuzsanna Vegh, analyste spécialiste des pays d'Europe centrale pour le German Marshall Fund, un cercle de réflexion basé en Allemagne. "C'est un nouvel exemple du manque de transparence du gouvernement hongrois", ajoute Tamas Matura, fondateur de l'Institut des études asiatiques d'Europe centrale et spécialiste des relations entre la Chine et la Hongrie.

La présence de forces de l'ordre chinoises sur le sol de l'Union européenne est un sujet sensible. La Hongrie ne serait pas le premier pays concerné. Entre 2015 et 2019, des patrouilles ont été menées conjointement par des policiers italiens et chinois à Rome, Milan, Turin ou encore Padou.

L'Italie y a mis fin, officiellement à l'occasion de la pandémie de Covid-19. Mais le scandale des postes clandestins de police chinois dans plusieurs pays occidentaux - dont l'Italie, la France et la Hongrie - a contribué à rendre Rome très susceptible sur ces questions. Comme d'autres pays européens, les Italiens ont alors surtout vu la présence policière chinoise comme une arme permettant à Pékin de mieux surveiller et contrôler sa diaspora.

Déjà à cette occasion, la Hongrie avait fait entendre un son de cloche très différent… en restant obstinément silencieux. Le gouvernement Orban avait "refusé de confirmer l'existence de deux postes de police clandestins dans le pays", note Zsuzsanna Vegh.

Pas étonnant, donc, que les policiers chinois fassent leur retour dans la Maison UE par la fenêtre hongroise.

Bon pour la propagande

En soi, ce ne sont pas quelques patrouilles qui "vont changer la donne sécuritaire" pour la diaspora chinoise en Hongrie, assure Richard Turcsanyi, spécialiste des relations entre la Chine et l'UE à l'Institut des études asiatiques d'Europe centrale à Bratislava, en Slovaquie.

Officiellement, plus de 18 000 Chinois vivent en Hongrie, soit près de deux fois plus qu'il y a dix ans. "La Chine a des moyens plus efficaces pour les surveiller que des policiers, dont la mission consiste sans doute à effectuer des patrouilles essentiellement dans les quartiers touristiques de Budapest", estime Richard Turcsanyi.

Pour lui, cette annonce sert essentiellement d'opération de relations publiques aussi bien pour le pouvoir chinois que pour Viktor Orban. La propagande chinoise "pourra probablement utiliser des photos de policiers chinois à Budapest pour montrer à quel point Pékin agit pour la sécurité de ses touristes à l'étranger", souligne Richard Turcsanyi.

À cet égard, le moment est bien choisi par Pékin pour mettre une telle coopération en place. En effet, "le nombre de touristes chinois à visiter la Hongrie a été multiplié par trois depuis 2019", note Tamas Matura.

De son côté, Viktor Orban "peut s'en servir pour réaffirmer sa proximité avec Pékin et faire comprendre à Bruxelles et Washington que la Hongrie est un pays souverain qui peut développer sa propre diplomatie à l'égard de la Chine, même en matière sécuritaire", affirme Richard Turcsanyi.

Cette annonce s'inscrit aussi dans le tropisme pro-chinois affiché par Viktor Orban depuis plus de dix ans. "Il a toujours affirmé que pour la Hongrie, l'avenir se situait à l'est. Son pari est que le grand gagnant du XXIe siècle sera la Chine et qu'il faut donc soigner les relations avec Pékin", explique Jakub Jakobowski, vice-directeur du Centre d'études orientales de Varsovie, en Pologne.

Jusqu'à présent les efforts diplomatiques - concentrés sur les relations économiques - "n'avaient pas beaucoup profité à la Hongrie", souligne Tamas Matura.

Viktor Orban et la carte chinoise

Mais c'est en train de changer. "Il y a eu des annonces portant sur plus dix milliards de dollars d'investissements chinois en Hongrie", note Tamas Matura. Pékin s'est engagé à financer l'établissement d'une nouvelle ligne de chemin de fer entre Budapest et Belgrade (Serbie), veut construire la plus grande usine européenne de voitures électriques de la marque chinoise BYD et également lancer une usine de batteries électriques.

En outre, "il est question que Xi Jinping se rende cette année en visite officielle en Hongrie", souligne Tamas Matura. Ce serait une première depuis 2009… et Xi Jinping n'était alors encore que vice-président.

Viktor Orban peut donc se vanter de "commencer enfin à récolter les fruits de sa diplomatie", note Jakub Jakobowski. Même si les experts interrogés par France 24 soulignent que les débats font rage en Hongrie pour savoir si tous ces grands projets vont vraiment profiter à l'économie hongroise ou plutôt à des entreprises chinoises qui y seront associées.

L'arrivée probable de policiers chinois dans les rues de Budapest ou ailleurs dans le pays représente "un symptôme d'une relation au beau fixe entre les deux pays", note Tamas Matura. Mais un symptôme qui "peut être inquiétant… notamment pour les Hongrois", souligne Zsuzsanna Vegh.

En effet, un autre pays sur le Vieux Continent - mais en dehors de l'Union européenne - accueille déjà des patrouilles chinoises : la Serbie. Cette coopération sécuritaire "s'est aussi traduite par l'achat de caméras de vidéosurveillance chinoises équipées de logiciel de reconnaissance faciale qui ont été installées à Belgrade. Sera-ce pareil à Budapest ?", s'interroge Zsuzsanna Vegh. Selon elle, se serait alors une bien mauvaise nouvelle pour la protection de la vie privée des Hongrois.

Le resserrement des liens sino-hongrois représente aussi une mauvaise nouvelle pour le reste de l'Union européenne. "Viktor Orban a toujours été très doué pour jouer la carte chinoise dans ses négociations avec Bruxelles, mais toujours de manière très pragmatique", souligne Jakub Jakobowski. Le Premier ministre hongrois a régulièrement utilisé son droit de veto pour s'opposer à des résolutions politiques européennes susceptibles de déplaire à Pékin. Mais "lorsqu'il s'agissait de questions économiques, la Hongrie a jusqu'à présent fait attention à ne pas heurter les intérêts européens et surtout allemand", précise Tamas Matura. Cet expert se demande si la volonté de Pékin d'investir des milliards en Hongrie est susceptible de changer la donne.

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