Accéder au contenu principal
REPORTAGE

Sénégal : "Les manifestants ont déversé leur colère sur tout ce qu’ils ont vu"

De notre envoyé spécial à Dakar – Le Sénégal a connu vendredi sa journée de manifestations la plus intense depuis le report de l’élection présidentielle par l’Assemblée nationale le 5 février. Au moins trois personnes ont perdu la vie, à Saint-Louis, Dakar et Ziguinchor, dans le sud du pays. Dans le quartier de la capitale Cité des eaux, les habitants fustigent des destructions excessives, bien que certains reconnaissent comprendre la colère des manifestants.

Des destructions sur le chantier de l'autopont Front de Terre, dans le quartier Cité des eaux, à Dakar, causées par des manifestants opposés au report de la présidentielle au Sénégal.
Des destructions sur le chantier de l'autopont Front de Terre, dans le quartier Cité des eaux, à Dakar, causées par des manifestants opposés au report de la présidentielle au Sénégal. © David Rich, France 24
Publicité

La tension est montée d’un cran vendredi 9 février au Sénégal. Six jours après l’annonce par le président Macky Sall de l’interruption de la présidentielle du 25 février, reportée depuis au 15 décembre par l’Assemblée nationale, des manifestations ont eu lieu à travers le pays, violemment réprimées par la police. La mort d'un jeune étudiant vendredi dans la ville portuaire de Saint-Louis a provoqué un vif émoi. Une enquête a été ouverte pour établir les circonstances du décès. Une seconde personne est morte à Dakar, samedi matin, succombant à une blessure par balle à l'abdomen, a confirmé son frère à France 24. Samedi soir, Landing Camara, un lycéen de 16 ans, est décédé, après avoir été blessé lors d'une manifestation à Ziguinchor, dans le sud du Sénégal, portant à trois le nombre de personnes tuées dans le pays depuis le début de la contestation. 

Dans le quartier Cité des eaux, dans la capitale, le chantier d’un autopont a été pris pour cible par les manifestants. Une pilule dure à avaler pour les habitants, qui fustigent un niveau de violence excessif.

"Nous avons dû fuir"

Samedi matin, les équipes du chantier inspectent les dégâts. Devant elles : plusieurs pelleteuses carbonisées. "Ils ont aspergé l’intérieur d’essence, c’est comme ça qu’ils les ont brûlées", indique l’un des responsables, casque blanc sur la tête et gilet fluo.

Les travailleurs du chantier devant une pelleteuse carbonisée par les manifestants.
Les travailleurs du chantier devant une pelleteuse carbonisée par les manifestants. © David Rich, France 24

"Ce n’est pas la première fois qu’il y a des manifestations ici, notre chantier est une cible car il s’agit d’un projet de l’État", explique-t-il. "Mais d’habitude, les protestataires restent aux abords des barrières. Il y a de la sécurité ici mais vous ne pouvez pas arrêter cent personnes, nous avons dû fuir."

L’homme attend l’huissier qui doit évaluer le coût de la casse. "Il faut remplacer six machines. On ne sait pas quand ça va reprendre parce qu’il pourrait bien y avoir d’autres manifestations."

Plus loin, un expert des dommages vêtu de noir, employé de la société propriétaire de la bétonneuse, contemple l’engin encore fumant. "Ils ont déversé leur colère sur tout ce qu’ils ont vu", commente-t-il, dubitatif.

"Une marmite qui couve"

Autour du large périmètre entouré de barrières qui délimite le chantier, la foule s’agite. Une dispute éclate alors qu'un conducteur de scooter tente de forcer l’étroit passage pour piétons.

Certains s’arrêtent quelques secondes, observent la désolation et commentent les événements de la veille. "Les manifestants voulaient contester le report de l’élection. Mais ceci est le bien d’autrui ; c’est un projet utile pour la population", soupire Ahmed, 73 ans, corps élancé dans une tunique traditionnelle bleu ciel.

"À cause de ça, nous n’avons pas d’électricité depuis hier car les flammes ont touché les poteaux électriques", déplore cet habitant du quartier.

S’il se dit volontiers choqué par l’ampleur des destructions, Ahmed ne soutient pas pour autant la décision de repousser l’élection. "Je suis pour le respect du droit et de la Constitution", lance-t-il, lapidaire.

"Nous sommes dans un système démocratique ici mais le problème est que beaucoup de gens ne peuvent voter en pleine connaissance de cause. Le taux d’analphabétisme est très haut, les jeunes n’ont pas d’emploi et il y a un déficit d’information qui donne le sentiment à la population d’être prise en otage. C’est une marmite qui couve. Alors, une étincelle et hop…"

Ahmed, habitant du quartier Cité des eaux, devant le chantier pris pour cible.
Ahmed, habitant du quartier Cité des eaux, devant le chantier pris pour cible. © David Rich, France 24

Voisins en colère

Plus loin, des voix s’élèvent, un petit groupe s’excite. Au centre, Djily s’emporte contre les ouvriers du chantier, qu’il qualifie de lâches. "J’étais là. Les manifestants n’étaient pas si nombreux, ils leur ont dit d’arrêter le chantier, ont lancé quelques cailloux et tout le monde est parti, c’est incroyable." L’homme trapu à la voix forte habite juste en face du chantier. Il n’a pas de mots assez durs pour les manifestants. "On chasse un président avec des cartes d’électeurs, pas des pierres. Huit mois de report, c’est quoi ? Rien du tout."

Son voisin, Ablaye, acquiesce. Cet ancien informaticien à la retraite soutient le parti de Karim Wade, le Parti démocratique sénégalais (PDS), à l’origine de la commission d’enquête sur deux juges de la Cour constitutionnelle qui a conduit au report du scrutin. "Nous avons eu gain de cause car nous étions dans notre bon droit", revendique-t-il, jugeant, contrairement à ce qu’ont affirmé les juges, que son candidat avait bien renoncé à la nationalité française en temps et en heure.

Ablaye et Djily, déçus par la destruction du chantier devant leur domicile.
Ablaye et Djily, déçus par la destruction du chantier devant leur domicile. © David Rich, France 24

Le petit groupe parle de gâchis pour le quartier. "À cinq mois de la fin du projet, ils nous font ça… C’est un chantier très important pour fluidifier le trafic ; ils sont aussi en train de construire une salle de sport sous le pont", explique Ablaye.

"On peut contester, mais pas de manière aussi violente", fustige-t-il. "Mais vous savez, ici, la ville concentre toutes les frustrations. Tout le monde veut y être mais la vie y est dure. En réalité, c’est cette colère-là qui s’exprime", conclut-il.

Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine

Emportez l'actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l'application France 24

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.