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Interview

Interdiction du mouvement LGBT+ en Russie : "Poutine instrumentalise la peur des homosexuels"

La Cour suprême de Russie a banni jeudi le mouvement LGBT+ pour "extrémisme". Les homosexuels et ceux qui défendent leurs droits sont désormais exposés à des poursuites judiciaires et à des peines de prison. Pour Vladimir Poutine, la communauté LGBT+, que le président russe dépeint comme un ennemi intérieur, symbolise les "valeurs décadentes" de l'Occident qui chercherait à détruire la nation russe. Entretien avec Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue et ethnologue.

Des militants de la communauté LGBT ukrainienne brandissent des photos d'Elena Grigorieva devant l'ambassade de Russie à Kiev le 24 juillet 2019.
Des militants de la communauté LGBT ukrainienne brandissent notamment des photos d'Elena Grigorieva devant l'ambassade de Russie à Kiev le 24 juillet 2019. © Sergei Supinsky, AFP (Archives)
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Le couperet est tombé jeudi 30 novembre. La Cour suprême russe est allée jusqu'à bannir pour "extrémisme" le "mouvement international LGBT+". C'est le dernier épisode de la guerre que mène le régime de Vladimir Poutine aux personnes LGBT+, au nom de la préservation des valeurs traditionnelles familiales et avec le soutien de l'Église orthodoxe. Le président russe les dépeint en ennemis intérieurs, cheval de Troie des Occidentaux qui menaceraient la Russie, selon la propagande de Moscou. En droite ligne de ses idées, Vladimir Poutine a ainsi enfoncé le clou lors de son discours sur l’état de l’Union le 21 février dernier, assénant qu'en Occident, en pleine "dégénérescence" selon lui, "les textes sacrés sont remis en question" (...) Et les prêtres sont obligés de bénir les mariages entre homosexuels".

Cette décision de la Cour suprême russe vient s'ajouter à l'arsenal législatif déjà en place pour réprimer l'homosexualité en Russie. Depuis 2013, une loi bannit la "propagande" de "relations sexuelles non-traditionnelles" auprès des mineurs. Élargie, celle-ci interdit depuis l'année dernière la "propagande" LGBT+ dans le pays. Selon Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue et ethnologue, spécialiste de la violence en temps de guerre, le régime prend un tournant totalitaire dans un pays où, en outre, l'imagerie traditionnelle patriarcale est obsédée par les manifestations des libertés de genre et de sexualités.

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France 24 : Pourquoi le régime de Moscou a-t-il particulièrement pris pour cible la communauté homosexuelle ?

Véronique Nahoum-Grappe : La Russie est en train de promouvoir la sexualité reproductrice en incitant les femmes russes à la fécondité, tout en criminalisant les sexualités libres désenclavées de la reproduction [comme celle de la communauté LGBT+, NDLR]. Empêcher peut-être bientôt l’avortement et la contraception, définir les femmes par la maternité, condamner l’homosexualité sont des tendances qui démontrent une rétrogradation historique phénoménale après trois siècles de lente libération des femmes et de la sexualité dans tout l’Occident.

Par ailleurs, ce qu’instrumentalise Vladimir Poutine c’est la peur et le rejet des homosexuels par une population restée croyante et traditionnelle dans les régions rurales et isolées. Lorsque la Russie bannit le mouvement LGBT+ pour 'extrémisme', c’est aussi pour séduire cet électorat lors des élections programmées dans le pays en mars 2024.

Depuis la guerre en Ukraine, l’idéologie du Kremlin est de plus en plus viriliste, réactionnaire et violente. D’ailleurs, en règle générale, les idéologies masculinistes, comme celle du régime de Moscou, ont tendance à dévaloriser les femmes, détester leur liberté, et haïr l’homosexualité .

On constate que toutes les institutions ou États totalitaires, qu’ils soient religieux ou non, ont tendance à réprimer la sexualité "illégitime" pour contrôler l’ensemble des citoyens. Plus les États sont totalitaires, plus les systèmes de domination sont rigides et plus la répression contre la sexualité libre des femmes et des homosexuels se durcit. La Russie, où les opposants au régime sont assassinés, où toutes les libertés sont verrouillées, et qui envahit le pays voisin, est un pays totalitaire selon moi.

Le régime de Vladimir Poutine est de nature stalinienne. Il ne faut pas oublier qu’il est l’héritier de 70 ans d’une idéologie virtuose dans la construction du mensonge politique, et donc d’une fausse réalité.

Les dirigeants ne se réunissent pas à Moscou pour prévoir la construction  des routes ou des hôpitaux , mais pour travailler à la réalité alternative qui va leur permettre de servir leurs intérêts et de manipuler les croyances des populations. Avec la décision de la Cour suprême, Vladimir Poutine instrumentalise ainsi la haine des homosexuels.

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Quel est le rôle de l’Église orthodoxe dans cette répression homophobe ?

L’idéologie promue par Moscou est de plus en plus religieuse pour des raisons de domination politique : le consentement au sacrifice des citoyens [dans le cadre de la guerre en Ukraine, NDLR] est exigé au nom des valeurs sacrées que la religion orthodoxe promeut. Le don ou le sacrifice de soi dans le cadre d’une évidence : celle de la domination masculine dans tous les domaines, ce qui  pour le coup contredit l’ancien féminisme laïque du communisme d’État. Il y a alors une collusion entre le totalitarisme politique et l’idéologie rétrograde religieuse, qui a tendance à demander aux hommes virils —  les "vrais" hommes, pas des homosexuels tellement méprisés et rejetés —  de mourir pour la patrie , et aux femmes, les vraies,  de faire des enfants, comme les pousse en ce moment une propagande frénétique et des aides économiques en faveur de la maternité.

Quelles peuvent être les conséquence de cette répression homophobe ? 

 Avec ces lois qui vont dans le sens de la criminalisation de l’homosexualité, je crains qu’une répression physique féroce ne s’abatte sur les membres de la communauté LGBT+. Le régime totalitaire risque aussi d’accuser d’homosexualité le moindre opposant, la moindre personne un peu rêveuse, un peu différente.

Par ailleurs, tous les populismes présents dans toutes les démocraties de la planète vont dans le sens d'une répression homophobe et anti-féministe, quelle que soit la religion qui les porte : une victoire de l'idéologie poutinienne, en les confortant, serait une catastrophe en terme de progrès social et aussi de civilisation.

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