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INTERVIEW

"Ni le Hamas ni le Fatah ne peuvent prétendre représenter le peuple palestinien"

De notre envoyée spéciale à Ramallah, en Cisjordanie – Deux semaines après le début de la guerre entre le Hamas et Israël, Fadi Quran, directeur de campagne de l'ONG Avaaz, appelle à un cessez-le-feu pour les enfants. Entretien.

Fadi Quran, directeur de campagne de l'ONG Avaaz, le 21 octobre 2023 à Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Fadi Quran, directeur de campagne de l'ONG Avaaz, le 21 octobre 2023 à Ramallah, en Cisjordanie occupée. © Assiya Hamza, France 24
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Plus de 4 000 Palestiniens et 1 400 Israéliens ont trouvé la mort depuis les attaques sans précédent du Hamas en Israël, le 7 octobre. Alors qu'au moins 212 personnes sont toujours retenues en otage dans la bande de Gaza et que le bilan ne cesse de s'alourdir de chaque côté, de nombreuses voix s'élèvent pour appeler à un cessez-le-feu.

Parmi elles, celle de Fadi Quran, directeur de campagne de l'ONG Avaaz. À Ramallah où il vit, il raconte à France 24 le désespoir des populations palestiniennes face au conflit et plaide pour que les sociétés civiles des deux camps fassent pression sur leurs gouvernements respectifs afin de trouver la paix et sauver les enfants.

France 24 : Quel est le sentiment de la population palestinienne en Cisjordanie face à la guerre à Gaza ?

Fadi Quran : Pour de nombreux Palestiniens, vivre en Cisjordanie est une expérience de torture. Nous voyons des enfants se faire tuer à Gaza. Imaginez que vous viviez à Marseille, en France, et que vous regardiez la télévision pendant deux semaines avec de telles images. Aujourd'hui, toutes les 15 minutes, un enfant est extrait des décombres. Les gens sont donc dans une profonde souffrance et ils essaient de comprendre ce qu'il faut faire. De nombreux Palestiniens ont protesté contre cette guerre et ont été arrêtés ces deux dernières semaines. Israël a arrêté plus de 4 000 personnes en Cisjordanie. L'Autorité palestinienne, qui travaille avec Israël, a également arrêté des dizaines de personnes...

Beaucoup d'entre nous ont des proches à Gaza. Ce matin, je parlais à un ami et il me racontait comment il rapportait de l'eau de la mer Méditerranée, la faisait bouillir, puis attendait qu'elle refroidisse sans le sel pour pouvoir donner cette eau à son enfant de trois ans et à sa femme. Ils n'ont plus d'eau là où ils vivent à cause du blocus d'Israël. En Cisjordanie, nous commençons à appeler au renversement et au remplacement des dirigeants actuels de l'Autorité palestinienne. Nous pensons qu'ils trahissent la cause en ne faisant pas assez pour soutenir la population de Gaza.

Qu’entendez-vous par "remplacer" ?

Notre but est d’organiser des élections démocratiques afin de choisir des dirigeants capables de nous libérer. La vérité, c'est qu'aujourd'hui, ni le Hamas ni le Fatah ne peuvent prétendre représenter le peuple palestinien. Nous n'avons pas eu d'élections depuis plus de 15 ans, parce qu'Israël interdit aux Palestiniens de participer à des élections et parce que l'Autorité palestinienne collabore avec Israël pour s'assurer qu'elles n'ont jamais lieu.

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De nombreux Gazaouis sont bloqués à Ramallah ou ailleurs en Cisjordanie. Dans quelles conditions vivent-ils ?

Ma mère et ma sœur sont toutes deux psychologues cliniciennes. Elles travaillent avec les familles gazaouies qui sont ici. Elles décrivent une dépression, un sentiment d'impuissance totale, des crises de panique. Je peux vous donner l’exemple de Mohammed, qui vient de Gaza. Il travaillait en Cisjordanie et s'est retrouvé coincé ici. Il parlait à sa femme et ses enfants quand le téléphone a coupé. Depuis, il n’a pas réussi à les joindre à nouveau. Cela fait dix jours qu’il pleure et supplie pour rentrer chez lui, afin de les retrouver. Cette histoire est celle de centaines de Gazaouis, de pères, de mères et de grands-parents, qui ne peuvent pas parler à leurs proches. C'est déchirant.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation ?

Je me suis entretenu avec des diplomates de pays importants, notamment des pays de l'UE, dans le cadre de mon travail de chargé de plaidoyer international. Selon eux, Israël estime que 25 à 35 000 Palestiniens seront tués. Ils estiment également que 10 à 15 % de la population de Gaza sera déplacée de manière permanente. Nous parlons de 300 à 400 000 personnes qui seront à nouveau des réfugiés pour la troisième fois de leur vie. C'est terrifiant. Nous allons être confrontés à une nouvelle catastrophe, un nettoyage ethnique, un génocide. C'est ce vers quoi se dirige le gouvernement israélien.

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Il y a cependant un autre scénario. C'est le moins probable mais c'est celui pour lequel nous devrions tous nous battre : il serait demandé à Israël de libérer les 170 enfants qu'il détient dans des prisons militaires en échange de la libération par le Hamas des enfants retenus en otage depuis le 7 octobre, de créer un corridor humanitaire à Gaza et des zones sûres pour les enfants. Il s'agirait d'un cessez-le-feu pour les enfants. Au lieu de voir des effusions de sang à la télévision, nous aurions des images de familles des deux côtés serrant leurs enfants dans leurs bras. C'est ce scénario que les présidents Macron, Biden et la communauté internationale devraient promouvoir.

Mais au lieu de promouvoir une solution qui sauve des vies juives et palestiniennes, ils soutiennent la politique belliciste d'Israël. Cette guerre ne va pas seulement coûter la vie à des dizaines de milliers de personnes de mon peuple. Cette guerre peut maintenir Netanyahu au pouvoir mais elle n'apportera pas la sécurité au peuple juif. Même si le scénario d'un cessez-le-feu pour les enfants est le moins probable, j’appelle les gens à élever leurs voix afin qu’il devienne la seule voie à suivre. Sinon, nous nous dirigeons vers une guerre qui nous dévastera tous.

Ce cessez-le-feu pour les enfants est-il envisageable côté israélien ?

Cette proposition de cessez-le-feu pour les enfants n'est pas discutée en Israël. Mon organisation a réalisé un sondage complet auprès d'instituts israéliens qui montre que 57 % des Israéliens soutiendraient cette proposition, contrairement au gouvernement. C’est pourquoi nous discutons maintenant avec des organisations de la société civile israélienne et essayons même de joindre les familles des otages pour qu'elles poussent leur gouvernement à s'éloigner de la guerre. Il nous reste moins d'une semaine pour faire de cette solution une réalité. Après cela, nous serons confrontés à une nouvelle catastrophe en tant que Palestiniens.

Qu'attendez-vous de la communauté internationale ?

Ce conflit peut rendre impossible toute solution pour la liberté, la justice, la dignité et la fin de l'apartheid auquel le peuple palestinien est confronté. À l'inverse, il peut s'agir d'un moment propice à un changement de paradigme. En tant que Palestiniens, nous faisons ce que nous pouvons pour nous protéger et ouvrir la voie à la liberté et à la dignité pour les deux parties. Mais si les Français, les Américains et les Britanniques ne s'organisent pas eux aussi pour mettre fin à cette guerre, elle ne s'arrêtera pas. Les Français ne prennent pas assez leur responsabilité au sérieux pour mettre fin à cette violence. J'appelle le peuple français à agir dès maintenant car la paix pour nous est aussi la paix pour le monde entier.

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