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INTOX

Avatar de présentatrice et intox : un faux journal vise le ministre des Mines en Guinée

Le 20 avril dernier, une vidéo est apparue sur les réseaux sociaux en Guinée. Elle semble être un extrait d’un journal télévisé : une présentatrice face caméra annonce que le ministre guinéen des Mines, Moussa Magassouba, aurait touché des pots-de-vin de la part d’hommes d’affaires chinois. Tout est pourtant faux dans cette vidéo : la présentatrice a été générée par intelligence artificielle, dans un faux décor, et les images utilisées n’ont rien à voir avec la Guinée.

Un reportage mettant en scène une présentatrice générée par intelligence artificielle, et créée avec des images hors contexte venant du Canada, prétend montrer des pots-de-vin versés au ministre des Mines, Moussa Magassouba.
Un reportage mettant en scène une présentatrice générée par intelligence artificielle, et créée avec des images hors contexte venant du Canada, prétend montrer des pots-de-vin versés au ministre des Mines, Moussa Magassouba. © Observateurs
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“En Guinée, le ministre des Mines et de la Géologie, Moussa Magassouba, se retrouve dans l’embarras après avoir accepté un pot-de-vin de 500 000 euros de deux hommes d’affaires chinois”, annonce une présentatrice face caméra dans une vidéo publiée sur YouTube et Facebook le 20 avril dernier.

Un logo “News Room 4” et un décor de plateau de télévision sont visibles. La présentatrice ajoute : “La scène a été entièrement filmée par une caméra cachée. Un reportage de Jean-Michel Ayoub” avant que ne démarre un sujet vidéo où s’enchaîne des images prétendant montrer les pots-de-vin distribués au ministre guinéen, en caméra cachée.

Captures d'écran du "reportage" diffusé par la chaine YouTube de "Jean-Michel Ayoub", prétendant que le ministre des Mines, Moussa Magassouba (en bas) aurait touché un pot-de-vin d'entrepreneurs chinois, illustré par l'image en haut à droite.
Captures d'écran du "reportage" diffusé par la chaine YouTube de "Jean-Michel Ayoub", prétendant que le ministre des Mines, Moussa Magassouba (en bas) aurait touché un pot-de-vin d'entrepreneurs chinois, illustré par l'image en haut à droite. © YouTube

En réalité, tout est faux dans cette vidéo, à la fois sur le fond comme sur la forme.

 

Une fausse présentatrice générée par intelligence artificielle

La rédaction des Observateurs de France 24 a d’abord procédé à une recherche d’image inversée sur les premières images du reportage montrant la présentatrice face caméra (voir ici comment procéder). Cette dernière permet de faire deux constats.

Tout d’abord, le studio télé visible au second plan vient d’une banque d’images video, et n’est donc pas réel.

Capture d'écran montrant le fond de décor de journal librement téléchargeable en ligne.
Capture d'écran montrant le fond de décor de journal librement téléchargeable en ligne. © Vecteezy

La présentatrice également n’est pas réelle : la recherche d’image inversée permet de constater qu’elle a été utilisée dans plusieurs vidéos en anglais pour des contenus d’apprentissage en ligne, en Inde pour faire la promotion d’une chaîne de fast food, ou même sur une page Facebook d’un influenceur en arabe.

 

Exemples de publicités en ligne utilisant le même avatar féminin animé par intelligence artificielle.
Exemples de publicités en ligne utilisant le même avatar féminin animé par intelligence artificielle. © Observateurs

 

Cet avatar féminin a même récemment fait la une de l’actualité en Suisse : la chaîne de télévision romande “M le média” fait appel à la même présentatrice générée par intelligence artificielle, baptisée “Jade”, qui présente depuis le 3 avril la météo.

La rédaction des Observateurs de France 24 a pu retrouver cet avatar généré par la société Heygen.com, qui propose de créer des vidéos interactives en utilisant des avatars animés.

Cette dernière s’appelle “Vera” et est disponible dans la liste des avatars gratuits. On la retrouve aussi dans la liste des avatars d’autres entreprises proposant le même type de vidéos, comme par exemple Scena.ia.

Avatars proposés par la société HeyGen. L'avatar "Vera" est celui utilisé par le faux journal.
Avatars proposés par la société HeyGen. L'avatar "Vera" est celui utilisé par le faux journal. © HeyGen

La rédaction des Observateurs de France 24 n’a pas pu identifier avec certitude le logiciel utilisé pour générer la vidéo du faux journal télévisé. Cependant, si le site HeyGen a bien été utilisé, “Jean-Michel Ayoub” n’a a priori rien eu à débourser : l’outil permet dans sa phase de test de générer jusqu’à une minute de vidéo utilisant un avatar généré par intelligence artificielle.

La société HeyGen, tout comme les autres proposant ce type de services, précise pourtant dans ses conditions d’utilisation qu’il n’est pas autorisé d’utiliser ses services pour “représenter une personne réelle” ou de créer des “contenus frauduleux destinés à tromper ou induire en erreur les utilisateurs”.

Notre rédaction a contacté la société HeyGen, nous publierons leur réponse si elles nous parvient. De son côté, Scena.ai nous a indiqué, aprés vérifications, que la vidéo n’avait pas été fabriquée en utilisant ses outils en ligne.

 

Des images prises dans des reportages au Canada 

Le contenu du reportage est lui-même fabriqué avec des images n’ayant rien à voir avec le commentaire affirmant montrer “Moussa Magassouba filmé alors qu’il acceptait un pot-de-vin de 500 000 euros”.

Dans les premières secondes, des images montrant des liasses de billets distribuées se succèdent.

Images visibles dans le reportage du faux journal télévisé guinéen montrant des liasses de billets supposément remises au ministre guinéen des Mines.
Images visibles dans le reportage du faux journal télévisé guinéen montrant des liasses de billets supposément remises au ministre guinéen des Mines. © YouTube

Ces images viennent de reportages diffusés par la chaîne canadienne Globalnews.ca illustrant des reportages sur les blanchiments d’argent dans des casinos de Colombie-Britannique. L’image du sac rouge est notamment visible dans cet article de 2021 de même que les images de liasses de billets visibles quelques secondes plus tard.

Capture d’écran d’un reportage diffusé le 29 janvier 2021 par le média Globalnews.ca. On y retrouve les images de liasses de billets sur une table (à la 27e seconde) ainsi que le sac rouge déversant des billets (à la 10e seconde).
Capture d’écran d’un reportage diffusé le 29 janvier 2021 par le média Globalnews.ca. On y retrouve les images de liasses de billets sur une table (à la 27e seconde) ainsi que le sac rouge déversant des billets (à la 10e seconde). © GlobalNews.ca

Autre allégation du faux reportage : les images montreraient un des hommes d’affaires chinois transmettre des pots-de-vin au ministre guinéen.

Sauf que cet homme visible est Paul King Jin, un homme accusé de blanchiment d’argent poursuivi par l’État de Colombie-Britannique car suspecté d’avoir blanchi des dizaines de millions de dollars venant principalement de casinos, via une banque clandestine. Il a été acquitté le 3 mars dernier sans aucune charge retenue, faute de preuves suffisantes.

Les images de cet homme ont été diffusées dans un reportage dans l’émission d’enquête W5 sur la chaîne canadienne CTV en février 2019. On y retrouve exactement les mêmes images filmées en caméra cachée de Paul King Jin, ainsi que d’autres images présentes dans la vidéo du faux journal en Guinée.

À gauche, capture d’écran du “reportage” diffusé en Guinée. À droite, capture d’écran d’une vidéo du programme d’enquête W5 de la chaîne CTV. Cet homme est Paul King Jin, un blanchisseur d’argent présumé d’origine chinoise vivant au Canada.
À gauche, capture d’écran du “reportage” diffusé en Guinée. À droite, capture d’écran d’une vidéo du programme d’enquête W5 de la chaîne CTV. Cet homme est Paul King Jin, un blanchisseur d’argent présumé d’origine chinoise vivant au Canada. © YouTube / W5 - Jean-Michel Ayoub

On retrouve d’ailleurs dans ce reportage la plupart des images utilisées dans la vidéo guinéenne, notamment des images de caméra surveillance, ou prises dans des hôtels.

À gauche, captures d’écran de la vidéo du “reportage guinéen”. À droite, capture d’écran d’un reportage du programme d’enquête W5 diffusé le 10 février 2019.
À gauche, captures d’écran de la vidéo du “reportage guinéen”. À droite, capture d’écran d’un reportage du programme d’enquête W5 diffusé le 10 février 2019. © YouTube / W5 - Jean-Michel Ayoub

La suite du “reportage” guinéen est une succession d’images illustratives notamment de la récente affaire autour de Jack Teixeira, garde national américain soupçonné d'être à l'origine de fuites de documents militaires américains. 

Le reportage affirme que “des secrets nationaux” de la Guinée auraient été révélés par ces documents. Une allégation impossible à prouver, et dont on ne trouve trace dans aucun média ayant documenté la fuite, ni dans les médias guinéens.

 

Un journaliste inconnu au bataillon avec un faux profil

Les comptes ayant relayé la vidéo ne sont pas nombreux : on retrouve principalement une page YouTube et un compte Facebook attribué à “Jean-Michel Ayoub”. Ces comptes ont été créés juste avant la diffusion de la vidéo, le 20 avril 2023, quasi simultanément.

Sur sa page Facebook, “Jean-Michel Ayoub” se définit comme “journaliste-reporter, spécialiste des questions d'éthique et de gouvernance”, basé à Paris. Il indique travailler pour “Panapress”, une agence panafricaine diffusant des contenus principalement sur l’Afrique francophone. 

Capture d'écran du profil Facebook de Jean-Michel Ayoub.
Capture d'écran du profil Facebook de Jean-Michel Ayoub. © Facebook

Le compte présente toutes les caractéristiques d’un faux profil : sa photo vient d’une banque d’image disponible en ligne. Aucune trace de ce journaliste n’existe nulle part sur Panapress, ou sur Internet. Le média à l’origine du reportage et dont on voit le logo dans la vidéo, “News Room 4”, n’a aucune existence.

Photo libre de droits d'un "homme chauve avec une barbe" disponible en ligne sur une banque d'images.
Photo libre de droits d'un "homme chauve avec une barbe" disponible en ligne sur une banque d'images. © Pixabay

La rédaction des Observateurs de France 24 s’est également procuré un email envoyé par “Jean-Michel Ayoub” à des journalistes guinéens. Il y suggère que ce contenu “peut intéresser” les rédactions qu’il contacte en envoyant le lien YouTube de la vidéo, qui cumule à ce jour 6 000 vues, un chiffre relativement faible. 

 

Exemple d'email envoyé par "Jean-Michel Ayoub" pour alerter sur la vidéo du faux journal télévisé.
Exemple d'email envoyé par "Jean-Michel Ayoub" pour alerter sur la vidéo du faux journal télévisé. © Observateurs

 

L’intox ne semble pour l’heure pas avoir intéressé les médias locaux guinéens, car aucun article basé sur cette vidéo n’a pu être retrouvé.

Néanmoins, la vidéo circulait dans plusieurs groupes guinéens sur WhatsApp depuis le début de la semaine du 24 avril, comme l’a signalé à notre rédaction notre Observateur Sally Bilaly Sow.

Capture d'écran de la vidéo circulant dans des groupes WhatsApp et "transférée de nombreuses fois".
Capture d'écran de la vidéo circulant dans des groupes WhatsApp et "transférée de nombreuses fois". © Observateurs

“Cette vidéo s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu autour de la question des mines en Guinée”

Sally Bilaly Sow est un de nos Observateurs en Guinée, journaliste et fondateur du média de vérification Guinée Check.

Cette vidéo émerge dans un contexte particulier : il y a une vraie tension géopolitique autour de la question des mines en Guinée. Beaucoup de permis ont été octroyés par le passé, et aujourd’hui, ces permis sont remis en cause par les nouvelles autorités [issues du putsch de septembre 2021, NDLR] . 

L’exemple qui cristallise les tensions, c’est la mine de Simandou, dans le sud-est du pays, qui est considérée comme l’un des plus riches gisements de fer au monde. Dans ce gisement, il y a une bataille entre deux entreprises, Rio Tinto [un groupe minier anglo-australien, NDLR] et Winning Consortium Simandou [un groupe minier singapouro-chino-guinéen, NDLR]. Il y a de très gros intérêts derrière, et cette vidéo pourrait s’inscrire dans ce cadre.

En juillet 2022, la junte au pouvoir en Guinée avait ordonné aux deux géants miniers d'arrêter leurs activités dans la mine de Simandou en raison de leur "manque de volonté" dans la création d'une coentreprise avec l'État.

Après des mois de négociations, l'État guinéen a ainsi obtenu la création d'une coentreprise dans laquelle il bénéficie d'une participation de 15 %. Des travaux d'aménagement d’un train minéralier et d’infrastructures portuaires ont repris en mars 2023 explique RFI, avec un nouvel acteur choisi par les autorités guinéennes, le géant de l'acier chinois Baowu Steel.

“C’est la première fois qu’on voit l’utilisation d’un avatar généré par intelligence artificielle pour désinformer en Guinée”

L’utilisation d’avatar généré par intelligence artificielle pour désinformer a déjà été repérée dans d’autres contextes par la rédaction des Observateurs de France 24, comme par exemple au Mali. Mais en Guinée, c’est une première, confirme Sally Bilaly Sow : 

Cela démontre que le phénomène est en train de se diffuser, et cela devient de plus en plus difficile de comprendre qu’il s’agit d’une manipulation pour des citoyens qui ne sont pas habitués à ce type de contenus assez réalistes, et donc convaincants.

Cela amène à nous demander si ce type de contenus ne s’inscrit pas dans une stratégie de désinformation plus importante, qui utilise des dispositifs techniques plus poussés. Le timing de diffusion de cette vidéo m’interroge : dans le milieu des journalistes guinéens, certains expliquent qu’il y aurait des tensions entre le ministre des Mines et des membres de son cabinet.

Des médias guinéens ont effectivement fait écho de tensions entre Moussa Magassouba et notamment son directeur de cabinet. Ils ont aussi relayé une lettre supposément signée par le ministre recommandant de favoriser une société minière guinéenne en particulier, malgré un appel d’offre international. Des allégations qui n’ont jamais été officiellement confirmées par le ministre des Mines ou le gouvernement guinéen.

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