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TUNISIE

"Violée par des policiers tunisiens, ma fiancée est accusée d’attentat à la pudeur"

Une affaire défraie la chronique en Tunisie : une jeune femme, violée début septembre par des policiers, se retrouve accusée d’atteinte à la pudeur. "Un chantage" pour qu'elle retire sa plainte assure son compagnon, interrogé par FRANCE 24.

ayelet_keshet - Fotolia.com
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La nuit du 3 au 4 septembre 2012 restera à jamais marquée dans la mémoire d’Ahmed* : sa fiancée a été violée par deux policiers à Ain Zaghouan, un quartier de Tunis. "Trois agents nous ont arrêtés alors que nous étions en voiture", raconte le jeune homme, joint au téléphone par FRANCE24.

Il poursuit d'une voix hésitante : "L’un d’entre eux m’a mis des menottes en réclamant 300 dinars [150 euros, ndlr]. Il a pris tout ce que j’avais : 40 dinars [environ 20 euros, ndlr]. Et pendant ce temps, deux autres ont conduit ma fiancée à l’arrière de leur voiture et l’ont violée". Aujourd’hui, cette jeune femme, Mariam*, se retrouve accusée d’attentat à la pudeur. Cette procédure judiciaire fait grand bruit en Tunisie, et provoque la profonde colère de la société civile.

Appelée à comparaître mercredi 26 septembre par un juge d’instruction du tribunal de Tunis, la femme a été confrontée à ses deux agresseurs présumés, aujourd’hui incarcérés pour viol. Selon l’accusation, Mariam et Ahmed se trouvaient dans une "position immorale" lorsqu’ils ont été arrêtés par la police. Leur procès doit débuter le 2 octobre. Ils risquent chacun six mois de prison.

La procédure : Un moyen de pression

Ahmed, qui affirme que "chacun était bien assis sur son siège quand la police les a interpellés", assure que les policiers étaient "bien organisés". "Ça ne devait pas être la première fois qu’ils sévissaient", constate-t-il aujourd’hui, amer.

Sa compagne, diplômée d’une maîtrise de finance et d’un master en management, ne souhaite pas, pour l’instant, parler aux médias. "Elle est stressée par cette accusation, elle pleure beaucoup", confie-t-il.  Pour lui, la procédure lancée à leur encontre vise purement et simplement à faire pression sur eux pour les "inciter à retirer leur plainte contre les policiers".

Cette procédure judiciaire a provoqué la colère de plusieurs ONG, et notamment de l'Association tunisienne des femmes démocrates. "Au final, cette femme a été violée trois fois : quand elle a été arrêtée dans la voiture, qui reste un espace privé, quand les policiers l’ont agressée et quand la justice a fait d’elle une accusée", s’insurge Zeyneb Farhat, militante au sein de l’organisation depuis plus de vingt ans.

"Cette procédure transforme la victime en accusée", enrage également Me Saïda Garrach, l’avocate de Mariam, interrogée par FRANCE24, qui loue par ailleurs "le courage et le bon réflexe [de sa cliente] de se rendre à la clinique, de déposer plainte et d’assumer l’agression en la dénonçant publiquement".

Politique d’intimidation envers les femmes

"Très peu de femmes portent plainte pour viol en Tunisie car elles ont peur des représailles ou du scandale", poursuit l’avocate de la victime. Cette affaire s’inscrit dans une politique d’intimidation envers les femmes pour les inciter à rester chez elles", poursuit-elle.

Les associations féministes tunisiennes dénoncent, depuis l'arrivée au pouvoir des islamistes d'Ennahda en octobre 2011, le comportement de la police à l'égard des femmes. Elles seraient régulièrement harcelées en raison de leur tenue vestimentaire ou lors de sorties nocturnes lorsqu’elles ne sont pas accompagnées par un homme de leur famille.

"Le viol comme moyen de répression est encore une pratique en Tunisie", a dénoncé la coalition tunisienne d'opposition de gauche "Le Pôle". La députée Karima Souid, membre d'Ettakatol un parti de gauche allié aux islamistes d'Ennahda, a, elle aussi, ajouté sa voix au concert de protestations contre la procédure judiciaire lancée contre Mariam. "Je me désolidarise complètement de ce gouvernement. L'affaire du viol et la convocation de la victime ce matin est la goutte d'eau qui vient de faire déborder le vase", a-t-elle écrit, avant de lancer à la coalition tripartite au pouvoir : "Je vous vomis!".

Interrogé par l'AFP, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Khaled Tarrouche, a indiqué que son ministère "n'avait rien à voir" avec les poursuites engagées contre la jeune femme, soulignant que la décision relevait du juge d'instruction. "Dans cette affaire, nous nous sommes comportés comme il fallait. Ce qui devait être fait a été fait, les trois agents ont été arrêtés tout de suite", a-t-il dit.

Manifestation samedi à Tunis

Les Tunisiens, qui reprochent régulièrement aux islamistes au pouvoir de faire peu de cas de la condition féminine, expriment aussi leur colère et leur indignation sur les réseaux sociaux. Certains se sont mobilisés en appelant à manifester samedi 29 septembre à Tunis.

Les femmes tunisiennes bénéficient du statut le plus moderne du monde arabe depuis la promulgation du Code de statut personnel (CSP) le 13 août 1956 instaurant l'égalité des sexes dans plusieurs domaines. Elles restent en revanche discriminées sur d’autres plans, notamment sur les questions d’héritage.

Les islamistes d'Ennahda avaient par ailleurs déclenché un large mouvement de contestation en août dernier en proposant d'inscrire dans la nouvelle Constitution non pas l’égalité mais la "complémentarité" des sexes. Lundi 24 septembre, ce projet de texte a fini par être abandonné.

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes citées

 

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