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RUSSIE

Dans les coulisses de l'usine à trolls russe, l'Internet Research Agency

La justice américaine a inculpé, vendredi, 13 ressortissants russes ainsi que l'Internet Research Agency, accusés d'avoir mené une "guerre de l'information" contre les États-Unis. Des ex-employés de cette "usine" en décrivent le fonctionnement.

L'Internet Research Agency est soupçonné d'être l'un des principaux vecteurs de propagande pro-Poutine en ligne.
L'Internet Research Agency est soupçonné d'être l'un des principaux vecteurs de propagande pro-Poutine en ligne. Studio graphique FMM
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"J'avais l'impression d'être un personnage de '1984'". C'est en citant la dystopie de George Orwell que Marat Mindiyarov raconte, dans les colonnes du Washington Post, son ancien travail au sein de l'Internet Research Agency, une entreprise privée russe soupçonnée d'être l'un des principaux vecteurs de propagande pro-Poutine en ligne. "On devait affirmer que le blanc est noir et que le noir est blanc", résume-t-il au journal américain.

>> À voir aussi : L'Internet Research Agency, l'usine à "trolls" russe dans le collimateur de Facebook

L'Internet Research Agency est une nouvelle fois au centre de l'attention depuis que le procureur américain, Robert Mueller, a prononcé vendredi 16 février l'inculpation de l'agence russe et de son président, Evguéni Prigojine, un proche du président Vladimir Poutine, dans le cadre de sa grande enquête sur une possible ingérence de la Russie dans la campagne présidentielle américaine de 2016. Douze autres ressortissants russes sont inculpés, tous des dirigeants de l'Agence, ainsi que deux autres entreprises.

Selon l'acte d'accusation, l'agence, basée à Saint-Pétersbourg, a soutenu à partir de la mi-2016 la campagne de Donald Trump et dénigré la candidate démocrate Hillary Clinton.

"Les accusés auraient mené ce qu'ils appellent une guerre de l'information contre les États-Unis, avec le but affiché de répandre la méfiance à l'encontre des candidats et du système politique en général", a affirmé le numéro deux du ministère de la Justice, Rod Rosenstein.

"Une usine à fabriquer des mensonges"

Dans la foulée de ces mises en accusations, le New York Times et le Washington Post sont parvenus à contacter d'anciens employés de l'agence. Ces témoignages offrent un éclairage sur les méthodes qu'utilise l'agence pour influencer les opinions publiques.

Marat Mindiyarov, le troll repenti se prenant pour un personnage d'Orwell, a travaillé cinq mois pour l'Internet Research Agency, de novembre 2014 à février 2015. Pour cet homme de 43 ans, "c'était le genre de lieu où tu as juste envie de rester assez longtemps pour mettre de l'argent de côté afin de t'en aller." Le salaire est en effet plutôt intéressant pour un Russe : près de 550 euros par mois quand le salaire minimum en Russie se situe aux alentours de 140 euros.

Marat Mindiyarov travaillait au département des commentaires. Son travail consistait à commenter des posts de blogs et des articles de médias russes pour créer l'illusion d'un soutien au pouvoir russe : "On était dans une usine capable de fabriquer des mensonges et des demi-vérités à une échelle industrielle." Lors de son passage à l'agence, il doit notamment inonder les articles évoquant les sanctions américaines contre la Russie.

Trois trolls : deux contre un

Le troll à la retraite décrit l'une des manœuvres classiques de l'agence. Chaque article posté est pris en charge par trois trolls :"L'un des trois critique fortement l'article en question et les deux autres lui répondent 'tu as tort" en postant des liens et autres... Le troll négatif finit par faire le convaincu", détaille-t-il.

Marat Mindiyarov ne travaillait cependant pas dans le saint des saints, la section américaine. Il se contentait d'influencer l'opinion publique russe. On lui a bien proposé de l'intégrer en l'appâtant avec un salaire multiplié par deux, mais le Russe échoue au test de langue : "Il faut se faire passer parfaitement pour un Américain. Je n'ai pas réussi le test parce que mon anglais n'était pas parfait."

Marat croise ses collègues chargés de l'actualité américaine lors des pauses cigarettes. Il les décrit comme "des jeunes, au look très moderne, des hipsters avec des vêtements 'fashion' arborant des coiffures soignées et les dernières technologies à la mode. Ils avaient l'air si moderne, jamais on aurait cru qu'ils étaient capables de faire de telles choses".

Des sujets à traiter directement dans les boîtes mails

Aleksei faisait partie des 25 premiers employés de l'Agence. Interrogé par le New York Times, il se rappelle également avoir croisé ses collègues américains dans la salle de pause : "ils se vantaient d'avoir créé des milliers de faux comptes sur les réseaux sociaux."

"Il y avait deux départements dédiés à l'écriture d'articles destinés aux Américains et aux tweets en anglais", raconte-t-il. "Il fallait juste dire que la vie était belle en Russie sous Poutine et mauvaise aux États-Unis sous Obama."

Aleksei décrit le quotidien des employés de l'Agence. Chaque personne travaille douze heures par jour et les sujets à traiter arrivent directement dans les boîtes mail : Vladimir Poutine, Barack Obama, les deux, l'Ukraine, l'héroïsme du ministre de la Défense russe, Serguei Lavrov, la guerre en Syrie… tout y passe.

"Ils me donnaient de l'argent pour écrire", raconte le jeune russe qui se rêvait journaliste avant de succomber aux charmes de l'Internet Research Agency. "J'étais plus jeune. Je ne pensais pas à la morale. J'écrivais pour le plaisir d'écrire, je ne voulais pas changer le monde."

Il finit cependant par quitter l'agence en 2015, las de l'industrialisation des contenus produits : "Au début, il fallait faire preuve d'une certaine créativité. Mais, à la fin, on avait perdu cet aspect pour devenir des robots."

Visés plus de 125 millions d'Américains

Dans un reportage diffusé en octobre 2017, la chaîne indépendante russe Dozhd offrait déjà une un premier aperçu de l'Internet Research Agency. Un ancien de la maison racontait, sous couvert d'anonymat, que l'agence s'estimait alors en mesure de toucher plus de 30 millions d’Américains à travers Facebook, Instagram et Twitter.

Depuis la présidentielle, les géants de l'Internet ont fait leur mea culpa. De l'aveu même de la direction de Facebook, 80 000 posts auraient été postés sur deux ans par l'Internet Research Agency. Ils auraient été vus par 29 millions de personnes. Avec les commentaires et les partages, ce sont 126 millions d'utilisateurs au total mis en contact avec ces contenus.

Twitter, Google, Facebook, ils se sont tous engagés devant le Congrès américain à déployer de nouveaux moyens pour lutter contre l'ingérence étrangère, en promettant d'engager davantage de salariés dédiés à la lutte contre les courriels indésirables et les faux comptes automatisés ou aux intentions néfastes.

Le procureur Robert Mueller cherche à établir si la Russie a interféré dans l'élection présidentielle en aidant Donald Trump à battre Hillary Clinton, et surtout si l'équipe de campagne de Trump s'est entendue avec la Russie.

Trois membres de l'équipe de campagne de Donald Trump, dont son ex-directeur, Paul Manafort, ont déjà été mis en accusation et l'ancien conseiller du président à la sécurité nationale, Michael Flynn, a reconnu avoir menti au FBI et accepté de coopérer avec la justice.

Quant au président américain, il nie toute entente avec la Russie : "La campagne Trump n'a rien fait d'illégal – pas de collusion", a-t-il affirmé dans un tweet peu après les inculpations.

Le pouvoir russe, lui, rappelle que l'acte d'accusation ne contient aucune preuve que la Russie soit impliquée dans une destabilisation : "La Russie ne s'est pas mêlée et n'a pas pour habitude de se mêler des affaires des autres pays. Et elle ne le fait pas actuellement", a assené le chef de la diplomatie russe, Serguei Lavrov.

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