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CENTENAIRE 14-18

22 août 1914 : le jour le plus meurtrier de l'histoire de France

Il y a 100 ans, le 22 août 1914, 27 000 soldats français ont perdu la vie au cours d'une seule journée. La bataille des frontières est pourtant moins connue que celles de la Marne, de Verdun ou du Chemin des Dames.

Des soldats français au début de la Première Guerre mondiale, en 1914
Des soldats français au début de la Première Guerre mondiale, en 1914 Historial de Péronne, AFP
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Au mois d’août 1914, au début de la Première Guerre mondiale, l’armée française est engagée dans des premiers combats lors de la bataille des frontières, le long de la Belgique et de l’Allemagne. Le 22 août, elle connaît la pire journée de son histoire. En l’espace de quelques heures, près de 27 000 soldats tombent au champ d’honneur. Pour comparaison, autant de militaires ont été tués durant la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962. Auteur d’un ouvrage sur cette journée sanglante ("Le jour le plus meurtrier de l’histoire de France, 22 aout 1914"), Jean-Michel Steg revient pour FRANCE 24 sur les circonstances de ce désastre militaire.

FRANCE 24 : Que s’est-il passé exactement au cours de cette journée du 22 août 1914 ?

Jean-Michel Steg : Les mois les plus meurtriers de la guerre sont les premiers mois, entre août et octobre 1914. Les soldats tombent à un rythme à peu près trois fois plus élevé qu'à Verdun. Il y a beaucoup de raisons à cela. La première est qu’il y a beaucoup de gens qui se battent au même moment. On mobilise un nombre incroyable de soldats les uns contre les autres. Il sont plusieurs centaines de milliers de soldats exposés au feu le 22 août.

Il y avait cinq armées en France qui étaient disposées d’Est en Ouest, entre l’Alsace, la Lorraine, les Ardennes et la Belgique. Par un concours de circonstances, ces cinq armées se sont retrouvées au combat ce jour-là. Il y a eu des centaines de milliers de soldats qui se sont battus dans une quinzaine d’engagements distincts, sans coordination. À chaque fois, pour diverses raisons, les Français ont laissé beaucoup de terrain et beaucoup de gens parce qu’ils étaient mal équipés pour des batailles de rencontre, et parce qu’ils utilisaient mal leur artillerie. Il y a des choses qu’ils n’avaient pas encore intégrées au début de la guerre et qui leur ont coûtées en termes de mortalité. Il y avait aussi un corps d’officiers extrêmement courageux qui croyait au sacrifice et qui ne reculait pas alors qu’il aurait dû le faire.

F 24 : Pourquoi retient-on surtout de cette journée la bataille de Rossignol ?

J.-M. S. : Une division d’infanterie coloniale - qui n'est pas composée de troupes coloniales, mais qui est constituée de troupes d’infanterie de marine avec surtout des Bretons et des Provençaux - s’est trouvée paralysée pour diverses raisons. En particulier, parce que son chef, le général Raffenel, est devenu fou. Les autres officiers généraux n’ont pas réagi. C’est vraiment un type de 60 ans qui a craqué. Il est parti tout seul et on l’a retrouvé mort. Ses soldats sont restés sans bouger, à se faire tuer pendant que les autres les encerclaient. C’était atroce. Il y a donc eu 6 000 ou 7 000 morts dans ce coin-là. Il y a eu aussi beaucoup de morts dans la bataille de Charleroi.

Le village de Rossignol en Belgique


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F 24 : À quoi incombe finalement cette hécatombe ?

J.-M. S. : Les Allemands étaient tactiquement supérieurs. Lors de ces batailles, les gens se sont un peu retrouvés nez à nez. Du côté des Français, on en profitait pour attaquer, alors que les Allemands se mettaient en général en position défensive. Ils attendaient de voir ce qui allait se passer et ils mettaient en place leur artillerie, qui à chaque fois, obligeaient les Français à manœuvrer très rapidement sous le feu. Ce qui était très difficile. D’autre part, l’armée française était très rigide et hiérarchisée. Il faut aller chercher des ordres loin et haut dans la hiérarchie. Et pendant ce temps là, on attend. Alors que du côté des Allemands, l’armée est beaucoup plus décentralisée. On explique aux officiers subalternes ce que l'on veut faire et ils ont beaucoup plus d’autonomie. Ils se mettent en place beaucoup plus rapidement que les Français. Ce qui leur donnera l’avantage.

Reportage de France 2 sur la bataille des frontières

F 24 : Des civils ont également été tués ce jour là ?

J.-M. S. : Lorsqu'ils ont pénétré en Belgique, les Allemands se sont livrés à des atrocités sur les civils. Ils ont tué plusieurs milliers de personnes durant leur offensive dans des circonstances atroces, y compris à Rossignol. Dans ce village, ils avaient le sentiment que les civils avaient collaboré avec les Français en leur tirant dessus, ce qui n’était pas vrai. Ils ont rassemblé une centaine de types dans un champ pendant deux jours sans les nourrir. Puis ils les ont mis dans des wagons à bestiaux, ils les ont envoyés vers l’Est et là ils les ont tués. Ce qu’ils feront beaucoup plus tard en Pologne, ils l’ont fait pour la première fois à Rossignol. Ils voulaient garder des otages pour être garant du bon comportement des civils belges pour l’occupation à venir. Et puis à un moment, ils n’ont pas trouvé de locomotives pour les envoyer vers l’Est, car la priorité était donnée aux transports des troupes vers l’Ouest. Un officier supérieur a alors décidé de les fusiller sur le bord du chemin de fer.

F 24 : Comment expliquez-vous que dans la mémoire collective, on se souvient surtout de la Marne, de Verdun et du Chemin des Dames, mais peu de la journée du 22 août ?

J.-M. S. : C’est une très bonne question, mais je n’ai pas encore de réponse définitive. Ce qui me frappe beaucoup, c’est le fait que cette journée soit oubliée à ce point. On en a parlé dans le documentaire de France 2, "Apocalypse". Le président François Hollande l’a aussi mentionné dans son discours de Liège. Cela me fait très plaisir pour ces soldats, mais il n’y a aucune cérémonie prévue à Rossignol le 22 août. On célèbre pour ce centenaire, mais dans le village, il n'y a rien. Mais à titre personnel, j’irai le 22 sur place avec le petit fils d’un des officiers qui a participé à la bataille, déposer une gerbe dans un cimetière atroce qui s’appelle l'Orée du Bois. Il y a là des milliers de jeunes Français, tous morts le même jour. C’est affreux. Ces endroits sont hantés. À chaque fois, j’en repars avec angoisse.

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